Le 20 février dernier, de nombreux arboriculteurs, arboriculteurs-éleveurs, porteurs de projets, conseillers ou encore expérimentateurs se sont réunis lors du Café Agro « poules en vergers » à la Ferme du Grand Laval afin de discuter des intérêts de cette pratique, des manières de la mettre en place et des contraintes techniques, administratives ou règlementaires.
Mettre des poules dans son verger, mais pourquoi ?
Laurent, arboriculteur dans le Puy-de-Dôme, a testé l’introduction de poules dans ses vergers pour gérer l’anthonome, coléoptère ravageur du pommier difficile à contrôler en AB. Observant l’impact positif de cette introduction, il a alors développé un élevage. C’est aussi l’une des raisons qui a amené Elsa et Sébastien, arboriculteurs dans la Drôme, à mettre des poules dans leurs vergers.
De plus, la vente des œufs assure un revenu régulier et est prisé par les acheteurs en vente directe. C’est également une sécurité économique, comme en témoigne Laurent, ayant subi deux gros épisodes de gel en 2017 et 2019 avec perte de 80 à 100% des fruits : les œufs lui ont offert un revenu et permis de conserver son exploitation.
D’autres raisons alimentent la volonté des arboriculteurs tels que la fertilisation par les fientes, l’aération du sol, la gestion de l’herbe, mais aussi le plaisir de la présence animale : « On interagit avec les poules quand on est dans le verger… »
Comment commencer ?
De nombreuses questions se posent pour les arboriculteurs qui souhaitent démarrer l’élevage de volailles, à commencer par la taille du cheptel. Laurent a commencé avec 50 poules, et a progressivement augmenté durant 5 ans, pour atteindre deux lots de 300 poules. Elsa et Sébastien ont démarré avec 70 poules et en ont désormais 200, réparties dans 3 poulaillers.
Mais introduire des poules dans des parcelles de production dédiée à l’alimentation humaine, c’est aussi être soumis à des normes sanitaires assez strictes pour garantir la santé des consommateurs (ex : salmonelles) mais aussi limiter les épidémies (ex. grippe aviaire). Si l’élevage comporte plus de 250 poules et/ou si la commercialisation n’est pas réalisée directement, la charte impose des mesures plus lourdes telles que la réalisation d’analyses pour suivi sanitaire (salmonelles), avec abattage du lot complet de volailles si présence. Ces règles peuvent être amenées à évoluer, et cela nécessite de se tenir informé auprès des interlocuteurs départementaux. En effet, la réglementation est nationale mais peut être appliquée différemment selon le département, comme en témoigne les producteurs présents, installés dans divers départements. Le GDS (Groupement de Défense Sanitaire), au-delà de ses missions réglementaires, est un des interlocuteurs qui peut accompagner dans le développement de son projet. Les exigences administratives sont nombreuses pour les éleveurs (cartographier, tenir des registres, flux d’aliments, lutte contre les nuisibles) et doivent donc être prise en compte au préalable par les arboriculteurs néophytes.
Les arboriculteurs-éleveurs témoignent de leur mode d’élevage par lots, qui sont renouvelés en une seule fois pour pouvoir créer un vide sanitaire dans le bâtiment. Il y a donc environ 3 mois entre 2 bandes de pondeuses : 1 mois de vide sanitaire, et 2 mois pour que les poulettes achetées soient prêtes à pondre.
La question du type de production se pose aussi : quelles races choisir ? des pondeuses ? des poules à double fins (chair et œufs) ? La poule rousse ‘classique’ Isabrown est décrite par l’un des producteurs comme une « formule 1 » de la ponte. Diverses races locales (ex. Grise du Vercors) sont à nouveau développées pour leur caractère rustique, même si certaines présenteraient de la consanguinité. Des producteurs présents au Café ajoutent que certaines races (plus particulièrement celles qui ont des plumes aux pattes d’après leurs observations) ne peuvent pas gratter le sol et endommager les racines des arbres. D’autres ont tendance à monter dans les arbres ce qui peut être problématique. Pour une introduction en verger, ces critères sont donc à prendre en compte, en plus de la rusticité.
Pour la production d’œufs, le système courant actuel est l’achat de poulettes qui entrent en production au bout de 2 mois, avec renouvellement vers 18 mois. Ce système, dépendant des structures d’approvisionnement de poulettes, peuvent poser aux agriculteurs des questions éthiques car il implique le broyage ou gazage des poussins mâles. Une nouvelle technique de sexage des poussins dans l’œuf est en cours d’expérimentation. Il est aussi envisageable pour les producteurs de mettre en place leur propre poussinière, comme Elsa et Sébastien qui souhaitent créer leurs propres lignées. Les 50% de mâles produits sont alors valorisés en poulet de chair, et les femelles sont conservées pour devenir des pondeuses. D’autres arboriculteurs-éleveurs ont mis en place le même système, la vente de poulets de chair permettant une nouvelle diversification de revenu.
Quelles conséquences pour le verger ?
Dans l’idéal, il faudrait penser le verger en même temps que l’élevage pour prévoir des distances entre rangs qui permettent des manœuvres (si poulailler mobile attelé). Attention en verger jeune, les poules grattent énormément et peuvent faire des dégâts en déchaussant les arbres : ceux qui l’ont expérimenté conseillent d’éviter de les associer avant 3 ou 4 ans ou d’exclure le pied des arbres des parcours. Ce sont aussi des prédateurs féroces : les poules modifient fortement la flore et la faune, par la prédation d’insectes au sol, de campagnols, la destruction des habitats de lézards… Mais les poules peuvent être aussi un facteur d’hétérogénéité de l’habitat, favorable à la biodiversité, en laissant des zones avec et sans poules.
Comment réaliser les interventions dans le verger ? La présence de poules incite à ne pas traiter… ! Chez les producteurs qui pratiquent déjà, elles sont confinées 24h en cas de traitement des maladies du verger. Le cuivre ne semble pas poser de problème d’après les témoignages, d’autant que c’est un oligo-élément à rajouter à leur ration alimentaire. Il faut tout de même prévoir de pouvoir enlever les parcs rapidement si besoin de traiter le verger.
Les parcours sont aussi un espace à gérer en termes de densité de poules et de rotation pour éviter la sur-fertilisation, ou la sous-exploitation du parc. Par exemple, il faudrait que l’herbe ne soit pas trop haute et à un stade jeune sinon les poules la délaissent. Il s’agit alors de trouver le ratio nombre de poules/superficie du parc idéal en expérimentant dans son verger. Sébastien et Elsa pensent par exemple aujourd’hui qu’une surface de 550 à 1000 m2 par parc selon la saison est idéale pour une exploitation efficace du parcours, avec des parcs petits en été et plus grands en hiver.
Penser les parcours et poulaillers
Des parcours doivent être prévus dans le verger pour faciliter l’organisation et protéger les poules de la prédation. Un filet électrique avec électricité en permanence est nécessaire pour ne pas qu’elles sautent et s’échappent, et est efficace contre renards, belettes, fouines.
Il faut prévoir l’apport de nourriture, d’eau potable et l’électricité au niveau du parcours… L’accès à l’électricité est indispensable pour l’éclairage des poules 14 heures par jour en hiver pour que les poules continuent de pondre.
Les poulaillers demandent aussi à être réfléchis pour s’adapter au verger. S’ils sont mobiles, un point d’attention concerne leur maniabilité : taille et possibilité de manœuvre quand attelé avec le tracteur ou possibilité de déplacement si le sol est détrempé. La facilité de nettoyage, l’accès aux œufs, l’absence d’abris possibles pour les rongeurs, la fermeture automatisée la nuit… sont des éléments à prendre en compte. Il n’est pas indispensable de tenir debout à l’intérieur si les œufs sont récupérés par l’extérieur et qu’un toit ouvrant permet de nettoyer. A noter que même si les poules sont dehors toute la journée, le nombre de poules par m² dans le poulailler doit être conforme aux normes (en février 2020, la réglementation impose par exemple 6 poules par m² maximum en Agriculture Biologique). Avoir plusieurs poulaillers bâtis avec plusieurs salles d’élevage ou plusieurs mobiles permet de produire en continu, tout en respectant le vide sanitaire entre 2 lots de poules. Sébastien et Elsa partagent leur expérience avec les poulaillers mobiles avec pondoirs extérieurs collectifs. Ils déposent un pallox d’aliments fermés à proximité du poulailler et se servent dedans, ce qui rend l’organisation du travail plus facile. Ils réfléchissent à créer 4 nouveaux poulaillers mobiles de 50 poules, qui seraient maniables à la main, légers, et faciles à nettoyer. L’idéal serait de pouvoir déplacer les poules toutes les semaines de 10 mètres, car l’impact le plus important est vraiment à proximité du poulailler.
Mais le poulailler mobile n’est pas la seule solution, comme en témoigne Laurent qui a construit un poulailler fixe pour faciliter la gestion des aliments, l’arrivée de l’eau, l’électricité et le transport des œufs. Ce poulailler de 200m² permet de travailler indépendamment 2 lots de 300 poules (et éviter les contaminations entre ces 2 lots), et comprend 2 salles d’élevage de 50m², un couloir central de récupération de œufs qui roulent à partir des nichoirs, un centre d’emballage de 20m².
La plupart des arboriculteurs présents indiquent vouloir valoriser la production d’œufs. Il faut alors gérer l’alimentation en fonction des objectifs de production. Une poule pondeuse a des besoins énergétiques spécifiques. Selon la période, le parcours en verger permet de diminuer la ration parfois de moitié au printemps et en été, mais cela ne suffit pas. Le complément d’alimentation peut être produit en partie sur l’exploitation (avec compléments minéraux, protéiques…) et/ou achetée. Elsa et Sébastien produisent l’aliment sur la ferme et valorisent les déchets des grandes cultures (tourteaux). Ils se sont fait accompagnés pour trouver la ration idéale et efficace, pas trop grasse, appétante, et correctement protéinée. Il leur arrive parfois de devoir acheter un peu d’aliment, mais le prix est alors élevé (700€/tonne) car les quantités sont faibles. Il est bien entendu également possible d’acheter l’aliment, via une coopérative par exemple, comme le fait Laurent qui ne produit pas de céréales sur sa ferme : les charges d’alimentation sont alors de 580€ par tonne (30 tonnes nécessaires par an) pour un aliment certifié bio, et local (moins de 200km).
A titre indicatif, une poule rousse mange 120 à 130g d’aliment par jour, et cette ration est diminuée de mai à septembre. Les agriculteurs ayant introduit d’autres races de poules (Faverolle allemande, Grise du Vercors, Noire de Janzé, Gournay Normande) observent qu’elles passent moins de temps à la mangeoire et prospectent donc davantage sur le parcours.
Valoriser la production de l’atelier poules en plus de la production fruitière ?
Un des participants du Café Agro témoigne : il a mis en place 60 poules qui sont constamment dans le verger et ont pour mission principale d’aider à la régulation des ravageurs. Il ne souhaite pas se charger de la production d’œufs et de leur vente et a donc choisi une race rustique et peu pondeuse : la poule grise du Vercors. Elles sont nourries en hiver, mais s’alimentent en autonomie au sein du verger à partir du mois de Mars. Le verger est clôturé, mais l’agriculteur observe de la prédation pendant l’hiver (environ 20 poules sont perdues à cette saison). Ces pertes sont acceptées par l’arboriculteur en contrepartie d’une charge de travail faible pour la mise en place de ce petit élevage.
D’autres arboriculteurs font le choix de penser l’atelier en vue de sa valorisation qui peut se faire en vente directe, en magasin de producteur ou encore en coopérative. Le choix de la vente directe nécessite de dimensionner l’atelier pour avoir des œufs à proposer aux consommateurs toute l’année. Laurent réalise ainsi 2 lots de poules avec 6 mois d’écart pour éviter l’absence de production et le risque de perdre des clients.
Des poules, oui mais pas que…
On peut imaginer introduire d’autres espèces dans les vergers. Les poules naines seraient des candidates intéressantes : mangent peu d’herbe, picorent pucerons et insectes… Les dindons, se défendant bien face aux prédateurs, auraient eux aussi un comportement de prédation intéressant notamment vis-à-vis des campagnols. Les canards consomment aussi des insectes, mais la commercialisation de leurs œufs est difficile car ils ne se conservent pas, témoignent Sébastien et Elsa. Un agriculteur souhaite intégrer des oies dans son verger pour son rôle de ‘tondeuse’. L’oie se défend bien des prédateurs, attention cependant préviennent certains producteurs, elles rendent l’accès au verger difficile durant leur couvaison !
Il est toujours important de penser à la biosécurité, ainsi les palmipèdes, plus sensibles à la grippe aviaire mais aussi porteurs sains de salmonelles, ne peuvent pas être mélangés avec d’autres espèces de gallinacé.
Le sujet intéresse de plus en plus d’arboriculteurs, comme en témoigne la richesse des échanges lors de ce Café Agro entre arboriculteurs désireux de se lancer, en cours de mise en place ou déjà bien expérimentés ! Cela demande cependant de réfléchir l’installation en amont : normes et biosécurité, adaptation du verger, choix de l’espèce et de la race, organisation du parcours et construction de poulaillers, mobiles ou non, mais aussi valorisation de la production d’œufs ou de poulets de chairs… L’utilité de cette pratique semble cependant faire ses preuves chez les arboriculteurs qui l’ont testé : en plus de diversifier la production, leur effet sur la régulation des ravageurs des fruitiers est observé. Introduire des poules dans son verger, un système qui pourrait alors être amenée à se développer de plus en plus dans les prochaines années… ?