Couvert du sol, fertilité du sol, de quoi parle-t-on ?
Les couverts du sol sont des plantes installées ou spontanées dans le verger, présentes dans l’inter-rang et parfois sur le rang, et qui couvrent le sol a minima une partie de l’année. Les engrais verts sont des couverts temporaires, installés puis détruits, notamment pour restituer de la matière organique et de l’azote. Les couverts végétaux permanents sont appelés enherbements.
La fertilité du sol n’est pas simple à définir ! Elle inclut des dimensions physiques (ex. texture et structure du sol, porosité), chimiques (éléments minéraux, pH, matière organique...) et biologiques (vie du sol), toutes en interaction, ainsi que la capacité à satisfaire les besoins des plantes pour leur croissance... C’est en fait plus facile de définir... un problème de fertilité !
Face à ce problème, deux situations contrastées : soit on connaît le facteur limitant (ex. compaction) et on peut dérouler des actions correctives, dont la mise en place de couverts végétaux ; soit on ne sait pas caractériser d’où vient le problème (sûrement multi-causal) et on peut faire le pari de « revitaliser » le sol (par ex. par des apports massifs de matières organiques), l’idée étant que cette revitalisation va permettre un meilleur fonctionnement et augmenter la biodiversité du sol (approche ‘holistique’).
Une grande diversité de couverts... et de fonctions attendues !
Des couverts pour améliorer la structure du sol avec des plantes à enracinement pivotant telles que le radis fourrager, des légumineuses (divers trèfles et luzernes) pour apporter de l’azote ou gérer les adventices, des plantes fourragères ou des légumineuses pour préparer le sol avant plantation, de la phacélie et du lin pour la biodiversité, des céréales pour un apport de biomasse, des iris installés au pied de pommiers comme barrière contre le campagnol, de la moutarde brune pour la biodésinfection en maraîchage... Différents couverts mono-espèce et en mélange ont ainsi été cités par les participants, pour des attentes généralement multiples.
Que ce soit en verger ou en vigne, ces couverts sont principalement installés dans l’inter-rang. Ils peuvent être pérennes ou temporaires et, dans ce cas, sont semés au printemps ou à l’automne pour rester en place au plus tard jusqu’en début d’été. Leur présence peut être gérée dans le temps, mais également dans l’espace, avec installation du couvert pratiquée couramment un inter-rang sur deux en viticulture.
Sur le rang, Claude-Eric Parveaud cite l’expérimentation d’implantation d’un couvert de trèfle blanc en verger de pêchers AB. Si les difficultés d’implantation du trèfle ont conduit à re-semer tous les deux ans, la fertilisation organique a pu être réduite de moitié dans la partie avec couvert par rapport au rang désherbé mécaniquement. Le calibre des fruits et le rendement mesuré ont été identiques dans les deux situations étudiées sur une période de 7 ans. Au niveau du sol, ce couvert ‘tamponne’ par ailleurs la disponibilité en eau, au bénéfice de la gestion des monilioses sur pêche : cet effet ‘tampon’ permettrait une croissance plus régulière des fruits, et donc de moins de microfissures qui sont des portes d’entrée des spores du champignon (GRAB-INRA Gotheron ; Parveaud et al. 2010 ; 2012).
En maraîchage, les couverts sont temporaires, ils sont considérés comme une culture intercalée dans la rotation. Les fonctions attendues recoupent celles déjà citées en cultures pérennes, avec en plus des spécificités telles que la biodésinfection du sol (vis-à-vis des nématodes ou des Sclerotinia par ex.), et le piégeage de l’azote en période de forte minéralisation, notamment après une solarisation. Les couverts recherchés auront donc une forte production de biomasse, ce qui permet par ailleurs un contrôle des adventices pour les cultures suivantes. Exemples de couverts : sorgho ou sorgho/pois/sarrasin en été et seigle/vesce/féverolle ou raygrass/vesce en hiver ; moutarde brune contre champignons du sol... Au-delà des couverts d’interculture, la mise en place de couverts pendant les cultures constitue une piste en cours de test, notamment comme substitut au paillage plastique mais aussi pour favoriser la vie du sol dans les rangs de culture comme dans les inter-rangs.
- Ces témoignages illustrent la multi-fonctionnalité des couverts : améliorer la structure du sol, sa portance pour le passage des engins agricoles, apporter de la matière organique et de l’azote au sol, favoriser la vie du sol, gérer les adventices, favoriser la faune auxiliaire... Dans le temps et/ou dans l’espace, sur le rang et/ou l’inter-rang, ils constituent donc une composante à part entière du système de culture...
Pour la fonction ‘favoriser les auxiliaires’, se reporter au précédent Café Agro : /Actualites/Cafe-Agro-Flore-en-vergers
Travaux sur l’enherbement du rang en verger de pêchers :
- C.-E. Parveaud, C. Gomez, C. Bussi, Y. Capowiez (2010) Effect of permanent ground cover on agronomic properties and soil fertility in an organic peach orchard. 28th International Horticultural Congress, Lisboa, Portugal. hal-02753221f https://hal.inrae.fr/hal-02753221/document
- C.-E. Parveaud, C. Gomez, C. Bussi, Y. Capowiez (2012) Effect of white clover (Trifolium repens, cv. Huia) cover crop on agronomic properties and soil biology in an organic peach orchard. Acta Hort 933, pp. 373-380 (résumé). https://scholar.google.com/scholar?q=Effect of white clover cover crop on agronomic properties and soil biology in an organic peach orchard
- A. Garcin, C. Bussi, N. Corroyer, N. Dupont, S.-J. Ondet, C.-E. Parveaud (2012) Alternatives au travail du sol sur le rang et gestion du sol en arboriculture - ALter AGri n°116, p. 19-21. http://itab.asso.fr/downloads/solab/aa116-dossier-solab-arbo.pdf
Comment installer, gérer un couvert ?
Cela peut être complexe d’installer un couvert dans un verger et... de le détruire dans le cas d’un engrais vert !
Où ?
L’installation du couvert peut s’effectuer sur le rang et/ou l’inter-rang, ou encore en sandwich : il s’agit d’une bande enherbée étroite sur le rang d’arbres, entourée de zones travaillées, qui recherche le compromis entre gestion de la concurrence d’une part, et effet structurant et restitution azotée avec légumineuses d’autre part (cf visite).
Quoi ?
En inter-rang, les associations de 3 ou 4 plantes de familles botaniques différentes (légumineuses, graminées, crucifères...) sont couramment utilisées pour les engrais verts (Petit, 1999). Chaque famille de plantes apporte des services différents qui se complémentent pour assurer un accroissement de la fertilité du sol.
Sur le rang, les travaux du GRAB ont permis d’identifier des plantes s’installant relativement bien, qui restent peu élevées et ne concurrencent pas/peu l’arbre fruitier, par exemple l’achillée millefeuille, la petite pimprenelle, la marguerite (mais hauteur), le lotier corniculé...
Quand ?
Semis de printemps ou d’automne, les deux sont possibles, en modulant le choix des espèces à semer... Le choix de la période doit intégrer le besoin de passer dans le verger (ex. récolte à l’automne en verger de pommiers, traitements...), la pluviométrie et l’état du sol, et bien sûr les espèces à implanter et leurs fonctions attendues. Il est primordial de veiller à limiter les concurrences lors du choix des périodes de culture. Pour les vergers jeunes ou non irrigués, les engrais verts implantés en automne et détruits au printemps quand les arbres commencent à avoir des besoins importants en eau et nutriments sont à privilégier.
Quelle gestion ?
Le couvert en place peut être amené à être détruit pour différentes raisons, et donc à des périodes différentes, ce qui amène généralement à devoir réaliser des compromis dans le choix de cette période. La destruction peut intervenir :
- en présence de fleurs si un traitement phytosanitaire doit être réalisé (préservation de la faune auxiliaire ; aspects réglementaires)
- pour permettre le passage lors des opérations culturales ou de la surveillance du verger
- si besoin pour éviter la concurrence au moment de la pollinisation des fruitiers, mais à vérifier : cf présence d’abeilles sur pommier juste à côté d’engrais verts en pleine floraison lors de la visite !
- avant la mise à graine pour limiter le stock semencier de certaines espèces si indésirables dans la culture : ex. sorgho du Soudan utilisé en biodésinfection ou pour apport de biomasse, Mélilot jaune (répulsif campagnol) cité comme toxique pour les radicelles du pommier… ; a contrario s’ils sont laissés en place jusqu’au stade graine, certains engrais verts peuvent se re-semer d’une année sur l’autre
- lorsque la biomasse produite est maximale, pour une restitution au sol la plus élevée possible, en général juste avant floraison du couvert
- avant la période de besoins élevés de la culture pour une restitution azotée
- si risque de gel ET en l’absence de système de protection de type aspersion sur frondaison : le sol nu sera plus ‘chaud’ et restituera plus de chaleur qu’un sol enherbé.
En revanche, en présence d’aspersion anti-gel, la présence d’un couvert du sol augmente la surface d’échange et donc la production de chaleur par la transformation d’eau en glace par rapport à un sol nu...
Cette destruction du couvert peut intervenir par fauchage, broyage, roulage, enfouissement... Dans tous les cas, l’enfouissement, a minima en surface, est conseillé pour favoriser sa décomposition, limiter sa dégradation à la surface et l’émission de gaz à effet de serre, et enfin valoriser l’azote minéralisé à partir de celui stocké dans le couvert. Certains couverts sont difficiles à détruire, ex. luzerne qu’il faut enfouir ; d’autres vont demander quelques mois pour se décomposer en précédent cultural en arboriculture, ex. sorgho fourrager.
Des pratiques complémentaires...
Lorsqu’un couvert pérenne est en place depuis longtemps, la scarification, avec un rouleau à lames qui entame superficiellement la surface du sol, permet de redonner de l’aération au sol et de limiter sa compaction et donc de relancer la vie microbienne sans détruire le couvert.
Les autres points d’attention...
L’installation d’un couvert peut s’accompagner de concurrence azotée pour l’arbre fruitier selon le type de verger, son âge et le type de couvert, voire une concurrence pour l’eau (ex. luzerne). La période de tonte de l’herbe joue également sur cette concurrence hydrique : en verger cidricole en enherbement total, la tonte est raisonnée en fonction de la disponibilité en eau car le couvert consomme de l’eau après tonte. La composition du couvert et sa gestion sont déterminants pour limiter cette concurrence. Enfin, la présence d’un couvert permanent et d’un enherbement total du verger sont favorables au développement du campagnol, en particulier en présence du campagnol provençal qui peut être un verrou à l’installation d’un couvert sur le rang...
En savoir plus...
Couverts et fertilité du sol : quels processus en jeu ?
Les couverts, du fait de leur enracinement, des restitutions au sol et de leurs associations biologiques (ex. mycorhizes) affectent positivement :
- la structure et l’aération du sol (limitation de l’érosion, augmentation de la portance, structuration et aération du sol par les racines)
- la teneur et la qualité de la matière organique et en éléments minéraux du sol selon la composition du couvert
- la vie du sol : lombrics et macrofaune, mais également mésofaune (collemboles...) et les micro-organismes.
Ils contribuent ainsi aux 3 ‘piliers’ de la fertilité, en structurant le sol via les racines et les lombrics, en favorisant les organismes du sol (dont décomposeurs...), en fournissant des ressources ‘à manger’ (différents éléments et matière organique), en augmentant la capacité de rétention en eau du sol via la matière organique... Ils sont donc essentiels à la santé du sol !
Ils assurent des fonctions qui nécessiteraient sinon des moyens importants : apports massifs de matière organique, travail mécanique pour aérer et décompacter le sol, voire ré-implantation d’organismes tels que les lombrics...
Si certains de ces effets peuvent s’observer à court terme (racines décompactant le sol), les effets des couverts sur la vie du sol et la matière organique sont des effets à long terme.
Comment évaluer ce qui se passe au niveau du sol en présence d’un couvert ?
Différents tests et indicateurs physiques, chimiques ou biologiques ont été évoqués : un certain nombre d’entre eux restent chers (ex. microbiologie), peu transposables en situation de production, ou encore difficiles à interpréter par manque de référentiel en arboriculture. C’est par ailleurs un ensemble d’indicateurs et non un seul qui peuvent rendre compte de la fertilité du sol... d’où l’importance de considérer tout d’abord comment se comportent les arbres et les plantes !
L’observation des arbres, de leur enracinement et/ou du couvert (profondeur d’enracinement, zones sans racines...) ou encore la qualité de l’infiltration de l’eau dans le sol (flaques, ornières, …) peuvent permettre d’identifier des problèmes : compaction, zones d’asphyxie... un des points-clé de la production en verger étant l’aération du sol. Plus récemment, le développement de l’utilisation de prises de vue aériennes (satellite, drone) permet d’identifier de telles zones ‘critiques’ dans le verger.
Les analyses de reliquat azoté, de C/N, du taux de matière organique renseignent à un moment donné sur ce qui est présent dans le sol et son potentiel, et/ou sur ce qui est disponible pour la plante (azote).
En tests « terrain » accessibles mais avant tout comparatifs :
Le test Beerkan (démonstration par C.-E. Parveaud) permet d’évaluer facilement la porosité du sol via la vitesse d’infiltration de l’eau dans le sol et la vitesse de saturation de celui-ci. Il permet de comparer 2 situations pour un même type de sol, par ex. 2 pratiques différentes, ou encore l’effet d’une pratique en utilisant le test avant et après sa mise en place. Il est intégrateur et facile à mettre en place.
Le ‘test du slip’ permet d’évaluer l’activité microbiologique du sol en évaluant la vitesse de décomposition de tissu en coton bio enfoui (test qualitatif).
Le test du ‘litter bag’. L’utilisation d’un substrat décomposable (matière organique de référence) permet d’obtenir un indicateur global de l’activité biologique du sol par une mesure au champ de sa dégradation. Un référentiel et une standardisation du test sont toutefois nécessaires.
Le test bêche, qui consiste à étudier la qualité de fragmentation des mottes de terre est principalement utilisé en grandes cultures. Il reste à adapter à l’arboriculture, en sols non travaillés pendant plusieurs années, et en considérant rang et inter-rang.
En évaluation du potentiel de restitution au sol :
La méthode MERCI permet d’évaluer le potentiel de restitution d’un couvert en fonction de sa composition botanique et de sa biomasse. https://methode-merci.fr/
Egalement, la base de données AZOPRO (Ctifl) présente des références techniques sur la composition et le comportement de 60 produits organiques de types amendement et engrais organiques, ainsi que des références sur les engrais verts (cinétique de libération et/ou d’immobilisation de l’azote). https://azopro.ctifl.fr/
Enfin, L’analyse de bioindicateurs tels que les nématodes, ou encore les indicateurs microbiens (ex. analyse de l’ADN des micro-organismes du sol) sont chers, d’autant que plusieurs points de mesure sont nécessaires, et ils nécessitent par ailleurs un référentiel pour leur interprétation.
La visite terrain
Elle a permis d’illustrer la décompaction du sol permise par les engrais verts en place (seigle forestier, féverole, radis fourrager ; pas de vesce en 2021 car développement très important au pied des pommiers en 2020) par rapport à un couvert permanent, ainsi que le système sandwhich.
En bref, les couverts du sol se diversifient et diversifient leur intérêt au service de la fertilité du sol : du ‘sur-mesure’ à adapter à son verger ou sa culture !
Merci à tous les intervenants et participants de ce Café agro pour leurs témoignages et les partages d’expérience