Invités du jour : Marc et Salomé Dibi, producteurs de petits fruits à St Péray (07) qui nous ont accueillis, Céline le Gardien, qui travaille à Agribio07 sur les expérimentations en petits fruits dans le Réseau Dephy Ecophyto FERME, Daniel Pierreti, producteur de petits fruits en Haute-Loire et membre du réseau Dephy Ecophyto FERME, Hélina Deplaude de la Chambre d’Agriculture de l’Ardèche, Thomas Raoult, maraîcher-éleveur à St Péray ayant testé l’association de poules-cassis.
Quels petits fruits ? Où et comment implanter ses petits fruits ?
Le sol, le climat, l’accès à l’eau vont conditionner les choix de plantation...
Parce qu’il n’y a pas de porte-greffe, les petits fruits présentent moins de possibilités d’adaptation au sol que des fruitiers classiques. Dit autrement, le sol contraint fortement le choix des espèces à cultiver : excepté le cassis qui s'adapte bien sur sol calcaire, les petits fruits se développent sur des sols acides –voire très acides, myrtillier sur sols à pH = 4.5 - et riches en matière organique. Il est donc primordial d’avoir un sol bien adapté à leur implantation même s’il est possible de s’affranchir en partie du sol en travaillant sur butte. Le sol doit être drainant (éviter les terrains très argileux) car les petits fruits sont sensibles à l’asphyxie racinaire. Pour conserver l’humidité du sol, l’utilisation de couvert ou de paillage permet de limiter l’évaporation.
L’irrigation est nécessaire pour de nombreuses espèces si on veut des calibres satisfaisants pour la commercialisation (fraises, framboises, myrtilles, mûres) et dans une moindre mesure pour cassis et groseilles. Mais les excès d’eau sont également à éviter. Le pilotage de l’irrigation doit donc être bien adapté au contexte local et aux objectifs de production. Les témoignages pointent l’intérêt de ne pas arroser deux jours avant la récolte pour conserver un maximum de qualité gustative, ou encore de fractionner les apports (ex. 3 arrosages de 20 min par jour plutôt qu’un seul), pour conserver un taux d'humidité constant dans le sol, tout en évitant les excès d'eau. L’arrosage se fait généralement en goutte-à-goutte. Une ambiance trop humide sera par ailleurs favorable au développement de la mouche Drosophila suzukii.
Les petits fruits ‘classiques’ évoqués sont autofertiles, à l’exception de certaines variétés (ex. cassis Noir de Bourgogne). Le choix des variétés inclut l’aptitude à produire 1 ou 2 fois dans l’année pour les fraisiers et les framboisiers (variétés remontantes) : le climat (arrêt de production aux 1ères gelées) et la présence de D. suzukii, dont les populations sont plus élevées en fin de saison, sont à considérer. A noter que le bleuet Vaccinium angustifolium et la myrtille V. myrtillus sont proches (mêmes genre et famille botanique) mais constituent deux espèces différentes et deux produits gustatifs différents. Et la gamme peut s’élargir avec goji, amélanchier (très long à mettre à fruits), myrthe, arbousier... même s’il y a peu de références techniques et de débouchés hors vente directe.
Quelle gestion culturale ?
Un des points clés est la gestion de l’herbe, difficile à mécaniser.
Gérer l’herbe avec des poules...
Des poulaillers et clôtures mobiles ont été testés par plusieurs producteurs dans des vergers de petits fruits, avec une conduite de type pâturage tournant en parcs (200 à 1000 m²), pour des densités et temps de présence des animaux variables selon les parcs. La période de présence privilégiée est l’hiver. En l’absence d’arbres, Il faut prévoir des zones de refuge pour les poules, afin de limiter les risques de prédation des rapaces (tas de bois ou palettes montées en tipi). La présence d’un coq semble également diminuer les attaques.
Les producteurs ayant testé cette association rapportent des effets intéressants pour la gestion de l’herbe, la prédation de larves et pupes dans le sol, et de ravageurs tels que les anthonomes ou Byturus (larve : ver de la framboise), ainsi qu’un effet fertilisant des fientes de poules. En fin de période de récolte, la consommation des quelques fruits restants constitue également une prophylaxie, en particulier vis-à-vis de D. suzukii. Les poules ne consomment pas les drageons de framboisiers mais elles peuvent gratter le paillage de façon trop importante voire détruire les buttes. Les périodes de présence des animaux et d’apport de paillage sont donc à adapter.
Bref, des essais prometteurs même si les agriculteurs estiment ne pas encore avoir assez de recul sur cette association poules et petits fruits.
... ou avec un paillage
Les copeaux de bois peuvent être utilisés comme paillage pour limiter le développement d’adventices, mais aussi pour limiter l’évaporation de l’eau. Le volume par apport d’eau est parfois à augmenter, car le paillage peut constituer une barrière empêchant l’eau d’arriver au sol. A contrario, épandu sur un sol humide, il limitera l’évapotranspiration.
Les déchets verts compostés des déchetteries, distilleries ou sociétés valorisant ces déchets sont une autre source de matière organique, ainsi que les tontes d’espaces verts (à incorporer immédiatement ou à composter). D’autres types de paillage, qui utilisent des ressources locales (paille de lavande compostée avec fumier, broyat de résineux compostés...), sont également cités par les participants. Il faut cependant s’assurer de la qualité de ces produits. Dans tous les cas, un apport régulier est nécessaire car les apports s’incorporent progressivement dans le sol et/ou sont dispersés par les pratiques.
La matière organique ainsi apportée va progressivement amender le sol et améliorer ses propriétés physiques, chimiques et biologiques. Il est conseillé d’éviter de planter des petits fruits dans les 6 mois après la mise en place de BRF pour éviter les risques de faim d’azote, en particulier dans les sols sableux qui sont plus sensibles à ce phénomène. Cet effet négatif peut cependant être compensé par l’apport d’engrais azoté. Enfin, utiliser des copeaux comme couverture de surface dans les inter-rangs des petits fruits permet de laisser cette matière organique se décomposer lentement, pour être incorporée plus tard sur les rangs, comme le montrent les agriculteurs chez qui nous sommes allés faire la visite.
Point d’attention : l’incorporation de BRF ou de matière en décomposition dans le sol peut être propice au développement d’insectes dont la larve est détritiphage voire phytophage (ex. ‘mouche noire’ des terreaux (Sciaridae)...)
Certains agriculteurs évoquent l’utilisation de toisons de mouton pour le paillage : ceci demande une quantité de matière importante, une toison de mouton par arbuste, pour 2 à 3 ans.
Et bien sûr, la gestion des bioagresseurs, dont l’incontournable Drosophila suzukii
Sa présence dépend des conditions climatiques : elle prolifère très bien à des températures autour de 22-25°C et dans des conditions relativement humides alors que des conditions venteuses ou très chaudes lui sont défavorables. Des stratégies d’évitement peuvent être adoptées en favorisant des variétés précoces plutôt que tardives et/ou non remontantes. Elle n’est pas présente sur les variétés de framboise jaune. A ce jour en AB, la prophylaxie est le moyen de lutte essentiel : une cueille tous les 2 jours limite le développement de D. suzukii en enlevant régulièrement les fruits nouvellement infestés. Par ailleurs, l’humidité de la parcelle et de la frondaison, modulables par les pratiques culturales (tonte, taille) est à limiter.
Diverses méthodes ont été citées ou sont en expérimentation pour contrôler Drosophila suzukii :
- Le filet anti-insecte pour drosophiles, efficace sur les cerisiers, mais pas forcément très bien adapté pour les petits fruits pour lesquels la récolte se fait régulièrement.
- Augmentorium : ce dispositif, en expérimentation, consiste à placer les fruits touchés par la drosophile dans une boîte grillagée avec un maillage fin qui laisse passer les parasitoïdes naturels de D. suzukii tout en piégeant les mouches qui émergent dans le dispositif. Le système permet ainsi de conserver ces parasitoïdes dans le verger, où ils seront potentiellement actifs sur les futures générations de D. suzukii.
- La diffusion d’huiles essentielles telles que le genévrier noir, la cannelle de Ceylan, la citronnelle de Java, le romarin ou la menthe poivrée est en cours d’expérimentation. Elle ne montre que peu/pas d’effet ou des effets variables sur D. suzukii mais aussi sur l’anthonome.
Un système contenant une grande diversité d’espèces fruitières semble favoriser la prolifération de D. suzukii, en lui offrant des sources de nourriture sur une période plus étalée, par rapport à des systèmes moins diversifiés.
Les autres bio-agresseurs évoqués sont des coléoptères, anthonomes et Byturus, dont le ramassage manuel permet de faire baisser les populations à terme. L’installation de nichoirs peut favoriser leur prédation par des oiseaux insectivores.
Point d’attention : Merles et geais s’intéressent aux fruits rouges !
Les discussions se sont poursuivies lors de la visite de la parcelle de Salomé et Marc Dibi - Jarditerre: 5000 m2 principalement axés sur la production de petits fruits (fraise, framboise, cassis, groseille, casseille, myrtille), associés à 150 arbres fruitiers, dont cerisier, pommier, poirier, prunier, pêcher, noyer, noisetier, amandier, figuier, kiwi et raisin de table. C’est la 2e saison de production pour les framboisiers et la 3e pour la fraise. La plupart des petits fruits sont cultivés sur butte en permaculture, avec des associations en place (ex. oignons-fraises) ou testées mais abandonnées (ex. framboisiers-fraisiers, le framboisier occupant rapidement tout l’espace).